Caféine et performance neuromusculaire en powerlifting : avantage réel ?
La caféine est sans doute la substance ergogène la plus consommée au monde, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans le sport de haut niveau. Elle est présente naturellement dans le café, le thé, le cacao, certaines boissons énergétiques et de nombreux suppléments. Depuis plusieurs décennies, son effet sur la performance physique fascine les chercheurs comme les athlètes.
Dans le système nerveux central, la caféine agit comme un antagoniste des récepteurs A2A de l’adénosine, ce qui entraîne une hypoalgésie (diminution de la perception de la douleur) et augmente l’état d’éveil, réduisant ainsi potentiellement l’effort perçu. Dans les muscles squelettiques, la caféine stimule aussi la libération de calcium par le réticulum sarcoplasmique, ce qui entraîne une augmentation de l’excitabilité des fibres musculaires et du recrutement des unités motrices. Par conséquent, dans les tâches où les résultats sont largement déterminés par les performances neuromusculaires (efforts axés sur la force et la puissance), les effets ergogéniques de la caféine seraient particulièrement pertinents, comme dans le cas de la force athlétique (powerlifting)…
Le powerlifting se compose de trois mouvements : le squat, le développé couché et le soulevé de terre. L’objectif est de soulever le plus lourd possible sur ces 3 exercices, lors de 3 tentatives. La performance repose donc sur des contractions musculaires brèves mais maximales, où la fatigue neuromusculaire et la perception de l’effort jouent un rôle clé. Dans ce contexte, la caféine est souvent utilisée comme un coup de fouet avant l’effort, censé améliorer la puissance, la concentration et la tolérance à la douleur.
Cependant, Bien que l’efficacité de la caféine sur les performances d’endurance soit bien établie, les résultats concernant son efficacité sur la force musculaire restent contrastés, notamment sur la dose optimale, les différences entre exercices, et la réelle magnitude de l’effet. Certains résultats montrent que 6 mg/kg de caféine n’ont aucun effet sur la force au développé couché ou à la presse à cuisses par rapport au placebo, tandis que d’autres résultats ont constaté une amélioration de la force du haut du corps avec la même dose. Une méta-analysea révélé que la caféine améliorerait la force musculaire 1RM par rapport au placebo, mais il est intéressant de noter que la sous-analyse n’a révélé aucun effet sur la force du bas du corps. Quel est son impact réel sur la force et la puissance, notamment en powerlifting ?
L’étude réalisée
Pour tenter de répondre à cette question, une étude publiée en 2025 s’est concentrée sur l’effet d’une dose de caféine sur la performance neuromusculaire (en termes de vitesse, de puissance, de fatigue et de perception de l’effort) sur deux mouvements emblématiques, le squat et le soulevé de terre, chez des pratiquants de powerlifting. L’étude a été menée selon un protocole randomisé et contrôlé, en quadruple aveugle. Concrètement, ni les participants, ni les chercheurs impliqués dans la collecte, l’analyse ou la distribution des capsules ne savaient qui recevait la caféine ou le placebo.
Seize athlètes masculins de powerlifting ont participé à l’étude. Tous avaient au moins deux années d’expérience en compétition régionale, avec un ratio force/poids corporel supérieur à 1.5 au squat et 1.8 au soulevé de terre. Leur âge moyen était de 26 ans et leur poids moyen de 88 kg. Leurs 1RM (une répétition maximale) de référence étaient en moyenne au squat de 181.0 ± 44.7 kg et au soulevé de terre de 215.0 ± 38.8 kg.
Le protocole s’est déroulé sur trois séances espacées d’une semaine. La première servait à mesurer le 1RM pour chaque exercice, en suivant les standards techniques de la Fédération internationale de powerlifting. Les deux autres séances expérimentales consistaient à réaliser des séries de 3 répétitions à différentes intensités (40, 60, 80 et 90 % du 1RM) après ingestion de la substance testée :
Les participants ingéraient les capsules une heure avant la séance, le temps nécessaire pour atteindre la concentration plasmatique maximale de caféine. Ils réalisaient ensuite trois répétitions à chaque intensité de charge pour le squat puis le deadlift, avec des temps de repos de trois à cinq minutes entre les séries. Les variables mesurées comprenaient :
Les athlètes ont également rempli un journal alimentaire afin de contrôler leur apport énergétique et leur consommation habituelle de caféine, estimée en moyenne à 157 mg par jour (soit environ deux cafés). Ils devaient s’abstenir de toute source de caféine et d’entraînement intense dans les 24 heures précédant chaque séance.
Résultats & Analyses
Les principaux résultats ont confirmé que la caféine exerce un effet ergogène réel sur la performance de force-vitesse, en améliorant la performance neuromusculaire au squat et au soulevé de terre, en particulier dans un contexte d’effort quasi maximal (80-90% du 1RM).
Au squat
En comparaison au placebo, la vitesse moyenne de la barre était significativement plus élevée avec la caféine, à toutes les intensités : +5% à 40% du 1RM, +5% à 60% du 1RM, +17% à 80% du 1RM, et +21% à 90% du 1RM. Plus la charge augmentait, plus l’avantage de la caféine devenait marqué. La puissance moyenne suivait la même tendance, atteignant +18% à 90% du 1RM. La perte de vitesse, indicateur de fatigue au fil des répétitions, était réduite de 25% à 80% du 1RM et de 30% à 90% du 1RM. Autrement dit, les athlètes maintenaient mieux leur puissance sur les deux plus lourdes charges testées. Enfin, la perception de l’effort (RPE) était globalement plus faible dans la condition caféine, mais non-significative statistiquement.
Au soulevé de terre
Les tendances étaient similaires : la caféine augmentait la vitesse moyenne à toutes les charges, de +10% à 40% du 1RM jusqu’à +12% à 90% du 1RM. La puissance moyenne était légèrement supérieure (+5 à 8%), bien que la différence ne soit pas significative statistiquement, probablement en raison de la variabilité interindividuelle. La perte de vitesse était réduite significativement de 24% à 80% du 1RM et de 27% à 90% du 1RM, confirmant un effet positif sur la résistance à la fatigue neuromusculaire. Quant au RPE, il diminuait lui aussi légèrement, surtout aux charges lourdes.
Aucune différence notable n’a été observée sur les charges légères (40-60% du 1RM) pour la perte de vitesse, ce qui suggère que l’effet ergogène de la caféine se manifeste principalement lorsque le stress mécanique et neural est important. Les chercheurs ont également noté que la moitié des athlètes avaient deviné la condition expérimentale en raison de symptômes typiques de la prise de caféine : tachycardie, nervosité, légère anxiété. Toutefois, aucun effet indésirable grave n’a été rapporté, et ces sensations n’ont pas perturbé les performances.
Les mécanismes en jeu sont multiples. Sur le plan central, la caféine agit comme un antagoniste des récepteurs à l’adénosine, neurotransmetteur inhibiteur impliqué dans la sensation de fatigue et de douleur. En bloquant ces récepteurs, la caféine augmente la vigilance, diminue la perception de l’effort et retarde l’apparition de la fatigue mentale. Sur le plan périphérique, la caféine favorise la libération de calcium par le réticulum sarcoplasmique, améliorant la contraction musculaire et la synchronisation des unités motrices. Ces effets, bien documentés en laboratoire, se traduisent ici concrètement par une augmentation mesurable de la vitesse et de la puissance, ainsi qu’une moindre perte de performance au fil des répétitions lourdes.
La dose utilisée dans cette étude (8 mg/kg, soit environ 640 mg pour un athlète de 80 kg – l’équivalent de 6 à 8 expressos) est élevée, supérieure aux recommandations classiques de 3 à 6 mg/kg. Certains auteurs ont en effet suggéré que la libération de Ca2+ suivrait un schéma dose-réponse lié à la caféine. Or, les effets observés ici suggèrent que les doses les plus fortes pourraient être nécessaires pour des athlètes déjà habitués à la caféine, et pour des efforts proches du maximal (80-90 % du 1RM). Cela rejoint plusieurs travaux indiquant qu’un niveau d’activation neuro-musculaire plus intense est nécessaire pour tirer pleinement parti de la supplémentation.
Cependant, cet effet n’est pas universel. Les variations génétiques (notamment des gènes CYP1A2 et ADORA2A) influencent la vitesse de métabolisation de la caféine et la sensibilité aux effets secondaires. Certains individus ressentent un bénéfice net, d’autres non, voire des effets inverses (nervosité excessive, perte de coordination, anxiété). C’est pourquoi la caféine et sa dose doivent être testées à l’entraînement avant toute utilisation en compétition.
L’étude souligne aussi une limite méthodologique : la différence d’apport énergétique entre les deux conditions (environ 450 kcal de plus lors de la condition placebo), qui pourrait théoriquement influencer la performance. Toutefois, cet écart ne suffit pas à remettre en cause les résultats, d’autant que l’effet observé sur la vitesse et la puissance est cohérent avec la littérature.
Enfin, il faut rappeler que cette étude évalue des effets aigus, c’est-à-dire sur une seule séance. On ne sait pas encore si la supplémentation chronique, répétée à chaque entraînement, produirait les mêmes effets ou s’accompagnerait d’une tolérance progressive.
Applications pratiques
Pour les athlètes de force, ces résultats confirment que la caféine peut constituer un outil ergogène pertinent, mais à condition d’être utilisée avec discernement. D’un point de vue pratique, la dose efficace se situe entre 6 et 8 mg/kg, prise environ 60 minutes avant l’effort. En-dessous, les effets sur la vitesse et la puissance sont plus variables ; au-delà, les risques d’effets indésirables augmentent. Pour un athlète de 80 kg, cela représente tout de même 480 à 640 mg de caféine. Une quantité difficile à atteindre avec le café seul, mais possible via des compléments standardisés.
Les athlètes doivent aussi tenir compte de leur habituation. La caféine agit différemment d’une personne à l’autre. Certains athlètes très réactifs peuvent ressentir des effets secondaires gênants (tachycardie, tremblements, anxiété). Dans ces cas, la performance peut être altérée au lieu d’être améliorée. Le meilleur dosage reste donc celui validé individuellement à l’entraînement, dans des conditions proches de la compétition. Et même si certaines auteurs ou entraîneurs de force recommandent de réduire la caféine en dehors des compétitions afin de maintenir la sensibilité lors des séances clés, une méta-analyse de 2022 avait montré qu’une consommation quotidienne de caféine ne réduiraitt pas forcément l’effet ergogène d’une supplémentation ponctuelle (lire cet article). En résumé, cette étude apporte une preuve solide que la caféine améliore la performance neuromusculaire aiguë en powerlifting, en augmentant la vitesse d’exécution, la puissance produite et en réduisant la fatigue et la perception de l’effort (surtout aux charges élevées). Mais elle rappelle aussi que ces bénéfices dépendent fortement de la dose, de la sensibilité individuelle et du contexte d’utilisation.
La caféine semble particulièrement utile dans les séances où la charge dépasse 75% du 1RM, c’est-à-dire les séances de force pure ou de puissance maximale. Dans les efforts plus légers ou d’endurance musculaire, l’effet reste présent mais plus modéré. Son utilisation doit donc être réfléchie, testée, et intégrée dans une stratégie globale de performance. Comme toute aide ergogénique, elle n’est qu’un levier de plus, à manier avec précision (et précautions). Efficace chez ceux qui la tolèrent bien, mais secondaire face à ce qui sert la véritable progression : l’entraînement, la récupération et la régularité.
Référence
Enes, A., Salles, G. N., Ferreira, L. H. B., Rezende, E. F., Mohan, A. E., Leonel, D. F., Cruz, R., & Schoenfeld, B. J. (2025). Effects of Caffeine Supplementation on Neuromuscular Performance in Powerlifting Athletes: A Randomized, Placebo-Controlled, Quadruple-Blinded, Cross-Over Study. J Strength Cond Res.