Influence de la musculation sur la longueur des télomères
Depuis plus de vingt ans, la recherche sur le vieillissement biologique s’intéresse à un marqueur discret mais fondamental : la longueur des télomères. Ces petits segments d’ADN qui coiffent nos chromosomes jouent un rôle essentiel de protection, empêchant les erreurs et les dégradations à chaque division cellulaire. Mais à chaque réplication, les télomères se raccourcissent légèrement jusqu’à atteindre un seuil critique où la cellule ne peut plus se diviser correctement. Ce processus, appelé sénescence cellulaire, est au cœur du vieillissement biologique et de nombreuses maladies chroniques.
En plus de l’héritage génétique, nous savons désormais que certains modes de vie accélèrent ce raccourcissement. Ainsi, le tabagisme, l’alcool, l’obésité, le stress oxydatif, le diabète, la sédentarité et l’inactivité physique ou bien encore un faible niveau socio-économique sont autant de facteurs prédictifs de télomères courts chez l’adulte. À l’inverse, des comportements sains (alimentation de qualité, sommeil réparateur, gestion du stress et activité physique régulière) semblent ralentir cette érosion, voire augmenter leur longuer. La plupart des études ont surtout examiné les effets de l’endurance, montrant qu’un entraînement régulier pouvait préserver la longueur des télomères et retarder le vieillissement cellulaire. Mais qu’en est-il de l’entraînement de la force musculaire ?
L’étude réalisée
Pour répondre à cette question, des chercheurs américains ont analysé des données collectées sur 4814 femmes et hommes américains, représentatifs de la population adulte des États-Unis. Ces informations étaient issues de l’étude NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey), une enquête nationale américaine menée depuis les années 1960 par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Ce programme combine des entretiens, des mesures biologiques et des prélèvements afin d’évaluer la santé et les comportements de la population américaine.
Ainsi, entre 1999 et 2002, les chercheurs ont recueilli des échantillons de sang permettant de mesurer la longueur des télomères, ainsi que des informations détaillées sur les habitudes d’activité physique des participants âgés de 20 à 69 ans. Les télomères leucocytaires (ceux des globules blancs) ont été mesurés via amplification en chaîne par polymérase (PCR,en anglais) au sein du laboratoire de recherche de la biologiste Elizabeth Blackburn (prix Nobel de médecine pour ses travaux sur les télomères). En parallèle, les participants ont déclaré leur fréquence d’entraînement en musculation au cours des 30 derniers jours, avec un niveau de précision suffisant pour calculer le nombre moyen de minutes hebdomadaires consacrées à la résistance musculaire.
Sur la base de ces informations, les chercheurs ont constitué trois catégories :
Pour isoler l’effet spécifique de la musculation, les analyses ont intégré un grand nombre de variables confondantes : âge, sexe, origine ethnique, niveau de revenus, taille du foyer, indice de masse corporelle, tabagisme, et participation à d’autres formes d’activité physique (47 types recensés). Toutes ces données ont été pondérées statistiquement pour permettre une extrapolation à l’échelle nationale.
L’objectif était de déterminer si le temps hebdomadaire de musculation était associé à une plus grande longueur des télomères, indicateur direct d’un ralentissement du vieillissement biologique.
Analyses des résultats
Les principaux résultats montrent que les personnes déclarant pratiquer régulièrement la musculation présentent des télomères significativement plus longs par rapport à celles qui déclarent ne pas pratiquer et ce, même après ajustement de tous les facteurs démographiques et de mode de vie.
Les hommes et les femmes pratiquant au moins une heure de musculation par semaine (les pratiquants réguliers) présentaient des télomères en moyenne 225 à 238 paires de bases plus longs que ceux des non-pratiquants. Ceux qui s’entraînaient de manière modérée (entre 10 et 50 minutes par semaine, les pratiquants modérés) présentaient des télomères en moyenne 120 à 140 paires de bases plus longs, traduisant un effet proportionnel à la dose.
Après avoir ajusté les différences entre toutes les covariables, pour chaque tranche de 10 minutes consacrées à la musculation par semaine, les télomères étaient en moyenne plus longs de 6.7 paires de bases. Par conséquent, 90 minutes de musculation par semaine permettraient de prédire des télomères plus longs de 60.3 paires de bases en moyenne. Étant donné que chaque année d’âge chronologique était associée à des télomères plus courts de 15.47 paires de bases dans cet échantillon national, 90 minutes par semaine d’entraînement musculaire seraient associées à un vieillissement biologique en moyenne inférieur de 3.9 ans. Cette interprétation suggère qu’une heure de musculation trois fois par semaine (180 minutes au total) pourrait être associée à 7.8 années de vieillissement biologique en moins.
Les résultats ont également confirmé plusieurs associations connues : les fumeurs avaient des télomères plus courts, tout comme les personnes obèses, tandis que les individus de poids normal ou pratiquant d’autres formes d’activité physique affichaient des valeurs plus élevées. Etonnament, le volume MET-minutes des activités physiques autres que la musculation (course, marche, vélo, natation, etc.) n’étaient pas significativement corrélées à la longueur des télomères après ajustement des autres facteurs. Cela pourrait laisser penser que l’entraînement de musculation possèderait un effet distinct sur le vieillissement cellulaire, potentiellement via des mécanismes propres à la masse musculaire, à la signalisation hormonale et/ou à la régulation du stress oxydatif. Cela étant dit d’autres études ont rapporté un effet positif des activités d’endurance sur la longueur des télomères.
Sur le plan physiologique, plusieurs mécanismes peuvent expliquer ces observations. L’entraînement en force stimule la synthèse protéique et la régénération musculaire, deux processus exigeant une forte activité mitochondriale et une meilleure utilisation du glucose. Il réduit l’inflammation chronique et le stress oxydatif, deux grands ennemis des télomères. Il améliore la sensibilité à l’insuline, augmente le métabolisme au repos et favorise la réduction de la masse grasse viscérale, dont les effets pro-inflammatoires sont bien documentés. Enfin, il stimule la libération de myokines (des cytokines sécrétées par les muscles pendant l’effort) qui agissent à distance sur les organes, notamment en modulant la réponse immunitaire et en protégeant les cellules contre le vieillissement prématuré.
Applications pratiques
La musculation est loin d’être un simple outil pour développer sa force et sa masse musculaire, elle joue un rôle central dans la régulation métabolique, l’immunité et la signalisation cellulaire. Préserver ses muscles, c’est donc préserver son potentiel de santé biologique, et sa longévité.
Sur le plan pratique, l’étude montre qu’il n’est pas nécessaire d’adopter des volumes d’entraînement extrêmes pour en tirer des bénéfices mesurables. Une à deux heures de musculation par semaine suffiraient à ralentir le vieillissement cellulaire de plusieurs années. Ce volume correspond par exemple à deux à trois séances de 30 à 45 minutes, avec un travail global du corps. Bien évidemment, la régularité est la clé. Ce n’est qu’une stimulation continue, semaine après semaine, qui entretiendra les adaptations métaboliques et protègera les télomères.
Ces résultats prennent également une dimension préventive primordiale. Dans une société où le vieillissement s’accompagne souvent d’une perte de fonction musculaire (sarcopénie), d’une augmentation du diabète et des maladies cardiovasculaires, la musculation apparaît comme une thérapie non pharmacologique efficace, accessible et peu coûteuse. Elle renforce la densité osseuse, régule la tension artérielle, diminue la graisse viscérale, protège les fonctions cognitives et, désormais, prouve qu’elle peut ralentir le vieillissement de nos cellules.
Bien sûr, de par son protocole, les résultats de cette étude ne permettent pas d’établir une relation de cause à effet. Même si le temps consacré à la musculation était fortement lié à des niveaux plus faibles de vieillissement biologique, il n’est pas possible d’affirmer que la pratique régulière de la musculation a entraîné un allongement des télomères. Peut-être que toutes les personnes déclarant pratiquer le plus de musculation seraient celles qui auraient naturellement des télomères plus longs (?)…
Ensuite, le temps consacré à la musculation était déclaré par les participants eux-mêmes, ce qui laisse supposer une possible marge d’erreur. Les participants peuvent avoir sous-estimés ou sur-estimés le temps passé à pratiquer. De plus, le questionnaire s’est concentré sur l’entraînement au cours des 30 derniers jours, de sorte que les informations sur l’entraînement musculaire à long terme n’ont pas pu être évaluées.
Enfin, les participants ayant un niveau d’entraînement musculaire élevé ou modéré pourraient avoir d’autres comportements liés au mode de vie propres à leur sous-groupe qui ont influencé des résultats favorables. Toutes les covariables possibles n’ont pas pu être mesurées et contrôlées statistiquement.
Tout cela étant dit, il n’en reste pas moins que sur plus de 4800 personnes interrogées, celles déclarant pratiquer régulièrement la musculation ont des télomères plus longs. Hazard statistique ou vérité biologique, quoi qu’il en soit, la pratique régulière de la musculation implique tellement de bénéfices pour la sante, qu’il serait bête de s’en priver.
Référence
Tucker LA & Bates CJ. Telomere Length and Biological Aging: The Role of Strength Training in 4814 US Men and Women. Biology 2024, 13, 883.