Combien de pas par jour faut-il vraiment faire ?

Depuis quelques annรฉes, lโ€™idรฉe des “10 000 pas par jour” sโ€™est largement diffusรฉe dans les recommandations de santรฉ publique, dans les mรฉdias et sur les applications de suivi dโ€™activitรฉ physique. Ce chiffre, souvent prรฉsentรฉ comme un seuil ร  atteindre pour rester en bonne santรฉ, repose pourtant sur peu de fondements scientifiques solides. Il trouve son origine dans une campagne marketing japonaise des annรฉes 1960, mais n’a fait l’objet d’aucune รฉtude concrรจte quant ร  sa validitรฉ en tant que seuil pour une meilleure santรฉ gรฉnรฉrale.

Dans un monde oรน lโ€™inactivitรฉ physique est lโ€™un des premiers facteurs modifiables pour le risque de mortalitรฉ toutes causes confondues, toute stratรฉgie simple, accessible et mesurable pour favoriser le mouvement au quotidien peut avoir un impact considรฉrable sur la santรฉ publique. Parmi les indicateurs dโ€™activitรฉ, le nombre de pas quotidien prรฉsente plusieurs avantages : il est facile ร  comprendre, ร  suivre, ร  quantifier et ร  communiquer. Mais combien de pas sont rรฉellement nรฉcessaires pour obtenir un bรฉnรฉfice mesurable sur la santรฉ ? Existe-t-il un seuil minimum ? Un point au-delร  duquel les bรฉnรฉfices se stabilisent ? Et ces bรฉnรฉfices concernent-ils uniquement la mortalitรฉ, ou s’รฉtendent-ils ร  d’autres paramรจtres de santรฉ comme les maladies cardiovasculaires, le diabรจte de type 2, la santรฉ mentale ou les fonctions cognitives ?

Lโ€™รฉtude rรฉalisรฉe

Pour tenter de rรฉpondre ร  ces questions, des chercheurs ont identifiรฉ toutes les รฉtudes prospectives publiรฉes entre 2014 et 2025, incluant des adultes (18 ans et plus) et mesurant objectivement le nombre de pas quotidiens ร  lโ€™aide dโ€™un dispositif portable (accรฉlรฉromรจtre ou podomรจtre). Seules les รฉtudes avec un suivi longitudinal et une mesure dโ€™au moins un problรจme de santรฉ majeure (mortalitรฉ toutes causes confondues, maladies cardiovasculaires, cancer, diabรจte de type 2, dรฉmence, symptรดmes dรฉpressifs, fonction physique, chutes) รฉtaient incluses.

Au total, 57 รฉtudes issues de 35 cohortes ont รฉtรฉ synthรฉtisรฉes, avec des รฉchantillons de participants uniques dans les mรฉta-analyses variant de 61 594 pour le diabรจte de type 2 ร  161 176 pour la mortalitรฉ toutes causes confondues.

Lโ€™objectif de cette รฉtude รฉtait double : dโ€™une part, รฉvaluer lโ€™association dose-rรฉponse entre le nombre de pas par jour et diffรฉrents problรจmes de santรฉ ; dโ€™autre part, explorer la relation entre la cadence de marche (intensitรฉ approximative via la frรฉquence des pas) et ces mรชmes problรจmes.

Pour traiter les rรฉsultats, une valeur de 2000 pas journalier a รฉtรฉ choisie comme rรฉfรฉrence car elle reprรฉsente le niveau moyen dโ€™activitรฉ des personnes trรจs sรฉdentaires ou fragiles. Les chercheurs ont examinรฉ les courbes dโ€™association pour chaque problรจme de santรฉ, en identifiant les inflexions (plateaux), les seuils de bรฉnรฉfice maximal et les rรฉductions de risque associรฉes ร  diffรฉrents niveaux de pas.

Rรฉsultats

Lโ€™un des rรฉsultats majeurs de cette mรฉta-analyse est la dรฉmonstration dโ€™une relation dose-rรฉponse claire et cohรฉrente entre le nombre de pas par jour et la plupart des problรจmes de santรฉ รฉtudiรฉs. Plus les gens marchent, plus leur risque de maladie ou de dรฉcรจs diminue, jusquโ€™ร  un certain seuil au-delร  duquel les bรฉnรฉfices semblent se stabiliser.

Pour la mortalitรฉ toutes causes confondues, les donnรฉes montrent une diminution du risque dรจs 4000 pas par jour, avec un point dโ€™inflexion vers 5400 pas. ร€ partir de 7000 pas, le risque est rรฉduit de 47 % par rapport ร  2000 pas par jour. Ce bรฉnรฉfice continue ร  sโ€™accroรฎtre lรฉgรจrement jusquโ€™ร  12 000 pas, mais la courbe devient plus plate, ce qui suggรจre des rendements dรฉcroissants.

Concernant les maladies cardiovasculaires, lโ€™association est รฉgalement significative : 7000 pas par jour sont associรฉs ร  une rรฉduction de 25 % du risque dโ€™incident cardiovasculaire, et de 47 % du risque de mortalitรฉ cardiovasculaire. La forme de la courbe est lรฉgรจrement diffรฉrente selon lโ€™รขge : chez les plus jeunes, le bรฉnรฉfice maximal semble survenir autour de 7800 pas par jour, tandis que chez les personnes รขgรฉes, un seuil de 5300 pas suffit ร  produire un effet marquรฉ.

Pour le diabรจte de type 2, la rรฉduction du risque suit une courbe linรฉaire, avec un bรฉnรฉfice progressif par tranche de 1000 pas. ร€ 7000 pas, le risque est rรฉduit de 14 %, et continue ร  baisser jusquโ€™ร  10 000โ€“12 000 pas.

En ce qui concerne la santรฉ mentale, le lien entre le nombre de pas et les symptรดmes dรฉpressifs est lui aussi linรฉaire. Chaque tranche de 1000 pas supplรฉmentaires est associรฉe ร  une diminution mesurable du risque. ร€ 7000 pas, le risque de dรฉpression est rรฉduit de 22 %.

La dรฉmence, bien que moins souvent รฉtudiรฉe, prรฉsente une relation inverse significative. Deux รฉtudes montrent une rรฉduction de 38 % du risque ร  7000 pas. Lร  encore, les bรฉnรฉfices sont visibles dรจs 4000โ€“5000 pas et se stabilisent au-delร  de 9000.

Pour les chutes, les donnรฉes sont plus spรฉcifiques aux personnes รขgรฉes. La relation est non linรฉaire, avec un bรฉnรฉfice maximal autour de 8800 pas par jour. Au-delร , certaines รฉtudes suggรจrent mรชme une lรฉgรจre augmentation du risque, peut-รชtre liรฉe ร  une exposition plus grande aux environnements ร  risque.

Enfin, les donnรฉes sur la fonction physique (mobilitรฉ, autonomie, limitation fonctionnelle) sont plus hรฉtรฉrogรจnes mais globalement cohรฉrentes : marcher plus est associรฉ ร  un meilleur maintien de la capacitรฉ ร  se dรฉplacer, ร  monter des escaliers ou ร  se lever dโ€™une chaise.

Analyse des rรฉsultats

Ce travail constitue, ร  ce jour, la synthรจse la plus complรจte sur les effets du nombre de pas quotidiens sur la santรฉ globale. Contrairement ร  lโ€™idรฉe populaire des 10 000 pas, les donnรฉes montrent que des bรฉnรฉfices substantiels sont obtenus dรจs 4000โ€“5000 pas par jour, et quโ€™environ 7000 pas semble รชtre un seuil particuliรจrement efficace sur un large รฉventail dโ€™indicateurs de santรฉ.

Ce chiffre prรฉsente deux avantages majeurs. Dโ€™une part, il est plus rรฉaliste et accessible pour une majoritรฉ de la population, notamment les personnes รขgรฉes, sรฉdentaires ou atteintes de pathologies chroniques. Dโ€™autre part, il est associรฉ ร  une rรฉduction de risque significative, souvent proche de celle observรฉe ร  10 000 pas. Pour certains risques comme la mortalitรฉ toutes causes confondues ou le risque cardiovasculaire, les 10 000 pas apportent un bรฉnรฉfice supplรฉmentaire de 5 ร  10 %, mais au prix dโ€™un effort supplรฉmentaire potentiellement dissuasif.

Le fait que les courbes soient souvent non linรฉaires, avec un point dโ€™inflexion autour de 5000โ€“7000 pas, confirme lโ€™idรฉe que chaque pas compte, mais que les rendements sont dรฉcroissants. Cela invite ร  adopter une stratรฉgie de santรฉ publique axรฉe sur lโ€™augmentation progressive de lโ€™activitรฉ, plutรดt que sur lโ€™atteinte brutale dโ€™un seuil arbitraire.

Il est important de noter que les bรฉnรฉfices apparaissent indรฉpendamment de lโ€™intensitรฉ. Marcher doucement mais longtemps peut suffire ร  induire des effets protecteurs. Cela ne signifie pas que lโ€™intensitรฉ nโ€™a aucun intรฉrรชt, mais elle nโ€™est pas indispensable dans un premier temps. Le volume dโ€™activitรฉ semble รชtre le principal facteur associรฉ ร  la rรฉduction du risque (selon les donnรฉes disponibles actuellement).

Les donnรฉes mettent รฉgalement en lumiรจre certaines diffรฉrences dโ€™effet selon lโ€™รขge, la condition de dรฉpart, ou le type de capteur utilisรฉ. Les personnes รขgรฉes tirent un bรฉnรฉfice plus prรฉcoce (dรจs 4000โ€“5000 pas), ce qui confirme la pertinence de programmes de marche chez les seniors. En revanche, pour les jeunes adultes, des volumes plus รฉlevรฉs sont nรฉcessaires pour des effets รฉquivalents, peut-รชtre en raison dโ€™un risque de base plus faible, ou dโ€™un niveau dโ€™activitรฉ dรฉjร  plus รฉlevรฉ.

Applications pratiques

Ces rรฉsultats ont des implications cliniques directes. Tout dโ€™abord, ils confirment que marcher, mรชme un peu, est mieux que de ne rien faire. Passer de 2000 ร  4000 pas par jour permet dรฉjร  de rรฉduire de maniรจre significative le risque de mortalitรฉ ou de maladies chroniques. Ce message est crucial pour les personnes trรจs sรฉdentaires, qui peuvent parfois รชtre dรฉcouragรฉes par des recommandations jugรฉes inaccessibles.

Ensuite, ils permettent dโ€™ajuster les objectifs selon les capacitรฉs et les profils. Pour les personnes fragiles, รขgรฉes ou en rรฉรฉducation, viser dโ€™abord 4000 ร  6000 pas par jour est dรฉjร  trรจs protecteur. Pour les adultes en bonne santรฉ, 7000 ร  10 000 pas par jour offre une cible pertinente, avec des bรฉnรฉfices supplรฉmentaires au-delร  mais moindres.

Enfin, ils permettent dโ€™ancrer concrรจtement les recommandations de santรฉ. Contrairement aux 150 minutes dโ€™activitรฉ modรฉrรฉe par semaine, plus difficile ร  quantifier dans la vie quotidienne, le nombre de pas est facilement traรงable, que ce soit via des applications ou des montres connectรฉes. Il permet un feedback immรฉdiat et favorise la mise en action. Dans un monde oรน les modes de vie sรฉdentaires sont devenus la norme, replacer la marche au cล“ur de la stratรฉgie de santรฉ, non comme un idรฉal sportif, mais comme une norme accessible, est un levier puissant, peu coรปteux, et validรฉ scientifiquement.

Rรฉfรฉrence