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Zone 2 : l’intensité “idéale” ? Mythe ou réalité scientifique

Concept popularisé il y a plus de 15 ans par Seiler, la “Zone 2” est devenue depuis quelques années l’un des termes les plus répandus dans les discussions autour de l’entraînement et de la santé. Popularisée par des figures influentes dans les médias et les podcasts, cette intensité d’exercice est présentée comme LA méthode à privilégier pour améliorer la capacité mitochondriale, optimiser l’oxydation des graisses et, par conséquent, prévenir les maladies chroniques. Les arguments avancés s’appuient souvent sur l’observation des pratiques des athlètes d’endurance de haut-niveau : des volumes considérables de travail en intensité modérée, accompagnés de performances exceptionnelles et d’une santé métabolique enviable.

Mais peut-on réellement transposer cette logique à la population générale ? Le raisonnement a ses limites. D’abord, les athlètes combinent ce travail à faible intensité avec des séances à intensité élevée pour un volume total d’entraînement assez important, souvent supérieur à 20 heures par semaine, ce qui dépasse largement les recommandations classiques d’activité physique pour le grand public. Ensuite, les bénéfices physiologiques obtenus chez eux pourraient dépendre davantage de la combinaison des intensités que du seul volume passé en Zone 2.

En parallèle, la recherche en physiologie de l’exercice a largement documenté les effets supérieurs de l’entraînement à haute intensité sur les adaptations mitochondriales, la condition cardiorespiratoire (VO₂max) et de nombreux marqueurs cardiométaboliques. Dans ce cas, la Zone 2 est-elle vraiment l’intensité d’entraînement idéale pour booster la santé mitochondriale et brûler plus de graisses ? Ou ses effets sont-ils surestimés face à d’autres méthodes plus intenses ?

L’étude réalisée

Dans une revue narrative, des chercheurs canadiens ont analysé la littérature pour déterminer si cette intensité était réellement optimale pour améliorer la capacité mitochondriale, l’oxydation des graisses et la santé globale. La Zone 2 correspond à un exercice en-dessous du premier seuil de lactate, soit une concentration de lactate sanguin inférieure à ~2,0 mmol/L, souvent proche de l’intensité de consommation maximale des graisses (Fatmax), et correspondant à un effort modéré permettant de maintenir une conversation aisée.

À ne pas confondre avec la zone 2 du modèle à 3 zones basé sur les seuils ventilatoires. Et dans ce cas, la zone dont nous discutons ici, correspondrait à la zone 1, en dessous du premier seuil ventilatoire.

Echelle de l’intensité sur 5 zones (Seiler, 2010)
Zone d’intensitéVO2 (% max)Fréquence cardiaque (% max)Lactate (mmol/L)Durée habituelle accumulée dans la zone
150-6560-720.8-1.51-6 h
266-8072-821.5-2.51-3 h
381-8782-872.5-450-90 min
488-9388-924.0-6.030-60 min
594-10093-1006.0-10.015-30 min

Les auteurs ont inclus les travaux menés chez des individus non entraînés ou simplement actifs, mais non spécialistes de l’endurance, et respectant ces critères d’intensité. Les paramètres étudiés concernaient :

  • Les signaux et voies de signalisation intracellulaires impliqués dans la biogenèse mitochondriale (AMPK, CaMKII, PGC-1α, etc.).
  • Les adaptations structurelles et fonctionnelles : activité enzymatique mitochondriale, respiration mitochondriale, récupération en phosphocréatine, densité capillaire, enzymes impliquées dans le métabolisme lipidique.
  • Les effets sur la capacité d’oxydation des graisses.
  • Les répercussions sur la forme cardiorespiratoire et les marqueurs de santé cardiométabolique.

En l’absence de nombreuses études explicitement conçues pour tester la Zone 2, les auteurs ont élargi leur analyse à des protocoles équivalents, tout en excluant les intensités nettement supérieures ou inférieures.

Résultats

Effets sur les signaux mitochondriaux

Les données disponibles montrent que l’exercice en Zone 2 induit généralement des modifications modestes, voire nulles, du ratio AMP/ADP:ATP, indicateur du stress énergétique musculaire et déclencheur clé de l’activation de l’AMPK. Cette faible stimulation énergétique se traduit par une activation limitée ou absente des voies de signalisation menant à la biogenèse mitochondriale. Les augmentations observées de PGC-1α (maître régulateur de cette biogenèse) sont inconstantes et semblent dépendre de la durée. Des séances de 60 à 90 minutes peuvent induire une réponse, là où 30 minutes n’en produisent pas…

Concernant la voie de signalisation du calcium (CaMKII), souvent avancée comme un mécanisme spécifique des faibles intensités, les preuves sont rares et contradictoires. Certaines études ne montrent aucune activation, d’autres rapportent des effets sur des cibles en aval. Globalement, les signaux déclenchés par la Zone 2 apparaissent plus faibles et moins consistants que ceux observés avec des intensités supérieures.

Adaptations mitochondriales mesurées

Les résultats sont mitigés. Quelques études indiquent des améliorations de l’activité enzymatique mitochondriale (citrate synthase, respiration mitochondriale) ou de la récupération en phosphocréatine après plusieurs semaines d’entraînement en Zone 2, y compris chez des personnes atteintes de diabète de type 2. D’autres ne rapportent aucun changement, même après plusieurs mois ou des volumes très élevés. Un constat majeur de la littérature est que, selon des méta-analyses antérieures, les intensités inférieures à environ 60 % de la puissance maximale aérobie ne sont pas censées induire de gains notables en contenu ou capacité mitochondriale chez des sujets non-entraînés.

En revanche, l’entraînement à intensité élevée active plus fortement les signaux mitochondriaux, augmente plus rapidement l’expression de gènes comme PGC-1α et améliore de manière plus marquée l’activité enzymatique, y compris chez les athlètes de haut-niveau.

Effets sur la capacité d’oxydation des graisses

La Zone 2 est fréquemment associée à la stimulation de l’oxydation lipidique, car elle coïncide souvent avec l’intensité du Fatmax. Chez des personnes sédentaires, obèses ou diabétiques, plusieurs études montrent une augmentation de cette capacité d’oxydation des graisses après des programmes de Zone 2 : amélioration de Fatmax, hausse du taux maximal d’oxydation des graisses, diminution du quotient respiratoire pendant l’effort.

Cependant, ces effets ne sont pas spécifiques à la Zone 2 : des entraînements à intensité plus élevée améliorent également, et parfois davantage, la FAO, en particulier en augmentant les capacités mitochondriales et enzymatiques liées à l’oxydation lipidique. Les comparaisons directes entre intensités donnent des résultats partagés : certaines favorisent la Zone 2, d’autres les intensités plus élevées, beaucoup ne montrent pas de différence nette. Et il revient souvent à la personne de faire un choix en fonction de ses préférences personnelles quand il est question de l’intensité des séances.

Impact sur la forme cardiorespiratoire

Sur ce point, le constat est clair : les gains de VO₂max/pic et de performance aérobie sont plus importants lorsque l’intensité dépasse la Zone 2, à volume égal. Chez les individus non-entraînés, la Zone 2 peut améliorer le CRF, mais les effets sont équivalents ou inférieurs à ceux d’intensités supérieures. Chez les personnes déjà actives ou entraînées, la Zone 2 seule ne suffit généralement pas à augmenter le VO₂max.

Analyse

Les auteurs mettent en lumière un décalage important entre le discours populaire autour de la Zone 2 et les preuves scientifiques actuelles. S’il ne fait aucun doute que cette intensité est bénéfique, notamment pour développer l’endurance de base, favoriser la régulation lipidique et permettre un volume d’entraînement élevé avec un faible risque de fatigue excessive, rien n’indique qu’elle soit supérieure aux intensités plus élevées pour améliorer la capacité mitochondriale, la capacité d’oxydation des graisses ou la forme cardiorespiratoire.

La nuance essentielle est contextuelle : chez des athlètes d’endurance, la Zone 2 représente un outil stratégique pour accumuler un volume considérable tout en préservant la récupération, mais toujours combiné à des séances plus intenses. Chez des personnes sédentaires ou peu actives, elle peut constituer un point d’entrée accessible et efficace, mais il semble que l’ajout progressif d’intensités plus élevées maximise les bénéfices.

Un autre point clé est le manque de recherches directement ciblées sur la Zone 2 telle qu’elle est définie dans le discours populaire. Beaucoup des travaux cités utilisent des intensités voisines ou des protocoles non vérifiés par mesures de lactate. Ce flou rend difficile la validation définitive des affirmations.

Applications pratiques

Pour le grand public, la Zone 2 est une intensité confortable, accessible, et propice à instaurer une régularité. Elle permet d’augmenter le volume hebdomadaire d’activité, de travailler sur la technique ou la posture, et de soutenir la santé métabolique, en particulier chez les personnes avec surpoids, diabète ou faible condition physique.

Toutefois, pour améliorer la capacité mitochondriale, la capacité d’oxydation des graisses et surtout la forme cardiorespiratoire (VO₂max/pic), il est recommandé d’intégrer des efforts au-dessus de la Zone 2 : séances à intensité modérée-haute, intervalles de haute intensité, voire sprints courts pour les individus qui le peuvent. Ces stimuli plus intenses activent des voies moléculaires et des adaptations structurelles que la Zone 2 seule ne déclenche pas pleinement.

En résumé, la Zone 2 est utile, mais pas la solution ultime. Elle doit être vue comme une composante d’un programme varié, non comme l’unique intensité à viser. Les bénéfices sont maximisés par la combinaison de plusieurs intensités, en fonction des objectifs, du niveau et des contraintes de chaque individu.

Référence