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L’effet de l’entraînement basé sur la vitesse sur les performances

Dans les salles de musculation comme dans le sport de haut niveau, la prescription de charge repose encore majoritairement sur une approche classique : un pourcentage du 1RM, c’est-à-dire de la charge maximale qu’un athlète peut soulever une fois. Cette méthode a longtemps été considérée comme la référence pour calibrer les intensités d’entraînement. Pourtant, elle souffre d’une faiblesse fondamentale : elle ne prend pas en compte les fluctuations quotidiennes de la performance.

Entre la fatigue, le stress, le sommeil, la nutrition ou encore le rythme biologique, un athlète peut voir sa force varier jusqu’à 36% d’un jour à l’autre. Or, s’entraîner à 80 % du 1RM n’a pas le même effet si, ce jour-là, l’athlète est à son pic de forme ou en déficit de récupération. C’est là qu’intervient le Velocity-Based Training (VBT), ou “entraînement basé sur la vitesse”. Cette méthode d’autorégulation propose d’ajuster les charges en temps réel selon la vitesse d’exécution de chaque répétition.

L’idée est simple : la vitesse de la barre est un reflet direct de la charge relative. Plus la barre bouge lentement, plus la charge est lourde (en pourcentage du 1RM). En suivant cette donnée mesurée via un capteur ou une application, l’entraîneur peut ajuster la charge de travail, le nombre de répétitions et le volume total selon la forme du jour. Le VBT permettrait donc un entraînement plus individualisé, plus précis, et potentiellement plus efficace, notamment pour les athlètes déjà expérimentés. Mais qu’en est-il réellement sur le plan des performances ?

L’étude réalisée

Pour répondre à cette question une équipe de chercheurs chinois a réalisé une méta-analyse pour examiner l’impact du VBT sur quatre composantes clés de la performance des membres inférieurs : la force maximale, l’endurance de force, le saut vertical et la vitesse de sprint. Les critères de sélection des études incluaient que les participants devaient avoir au moins un an d’expérience en musculation, ne pas pratiquer d’autres entraînements pendant la période d’intervention, et les protocoles devaient inclure des mesures pré- et post-intervention sur les quatre indicateurs de performance suivants :

  • le 1RM, pour la force maximale ;
  • le nombre maximal de répétitions (MNR), pour l’endurance de force ;
  • le saut vertical avec contre-mouvement (CMJ), pour la puissance ;
  • et le temps de sprint sur 10 à 20 mètres, pour la vitesse.

Au total, neuf études ont été retenues, publiées entre 2017 et 2021, représentant 253 hommes âgés de 22 à 26 ans, tous sportifs entraînés. Huit de ces études ont utilisé le système T-Force Dynamic (Espagne) pour mesurer la vitesse de la barre, et une le GymAware Power Tool (Australie). Toutes utilisaient le squat comme exercice principal, à raison de 2-3 séances par semaine, pendant 6 à 8 semaines.

Les intensités variaient de 50 à 85 % du 1RM, et la “perte de vitesse” (PV) par série était comprise entre 5 et 45%. Ce paramètre indique la baisse de vitesse tolérée avant d’arrêter une série : par exemple, une PV de 20% signifie que l’athlète s’arrête dès que la vitesse de la barre chute de 20% par rapport à sa première répétition. Cette variable est essentielle, car elle détermine le niveau de fatigue neuromusculaire induit.

Les chercheurs ont évalué la qualité des études à l’aide de la grille PEDro : huit étaient jugées de bonne qualité, une de qualité moyenne. Les analyses statistiques ont ensuite été réalisées avec un modèle à effets aléatoires, en utilisant la différence moyenne standardisée (SMD) pour comparer les effets entre études.

Résultats & analyses

Les principaux résultats de cette analyse ont montré que le VBT améliore significativement toutes les composantes de la performance testées, avec une hétérogénéité quasi nulle entre les études.

1. Force maximale

Le VBT induit une augmentation significative du 1RM avec une taille d’effet moyenne (SMD=0.76, p<0.001). Autrement dit, les athlètes qui s’entraînent en fonction de la vitesse gagnent en force de manière nette, malgré des volumes de travail souvent inférieurs à ceux des protocoles traditionnels. Cette efficacité est particulièrement intéressante chez les athlètes déjà expérimentés, pour qui les marges de progression sont faibles. Le fait que la totalité des études rapporte des gains significatifs souligne la robustesse de cette méthode.

2. Endurance de force

L’effet est encore plus marqué sur l’endurance de force avec une taille d’effet grande (SMD=1.19, p<0.001), soit . Les auteurs expliquent ce résultat par une hypertrophie sélective des fibres lentes ou des chaînes lourdes de myosine de type I, stimulées par des pertes de vitesse plus importantes. En d’autres termes, lorsque le VBT est programmé avec une tolérance à la fatigue plus élevée (par exemple VL≥30%), il favorise les adaptations musculaires associées à l’endurance de force. Ce résultat est cohérent avec les travaux d’autres chercheurs (Pareja-Blanco et al., 2017) qui ont montré, via des biopsies musculaires, que l’entraînement avec une perte de vitesse contrôlée modulait la proportion de fibres musculaires selon la stratégie choisie : une faible perte de vitesse conduisait à un maintien des fibres rapides et de la puissance musculaire ; une forte perte de vitesse menait à une adaptation vers les fibres lentes et à une meilleure endurance de force.

3. Saut vertical (puissance)

Le saut vertical s’améliore également, avec une taille d’effet moyen (SMD=0.53, p<0.001). Le VBT semble donc aussi efficace que les méthodes traditionnelles pour développer la puissance musculaire, tout en induisant moins de fatigue cumulative. Cela s’explique par une meilleure qualité d’exécution : en stoppant les séries avant la dégradation technique, les athlètes préservent leur explosivité et favorisent une adaptation nerveuse plus spécifique.

4. Sprint

Le temps de sprint sur 10 à 20 mètres diminue significativement (SMD=–0.40, p<0.001). Toutefois, il est intéressant de noter que, bien que le résultat global soit positif, près de la moitié des études incluses ont rapporté des effets nuls voire négatifs sur les résultats des sprints. Les auteurs notent que les études ayant donné des résultats nuls avaient adapté une perte de vitesse relativement plus importante (>20%). Comme mentionné ci-dessus, la perte de vitesse est étroitement liée à l’hypertrophie musculaire sélective. Une perte de vitesse trop importante pourrait réduire le pourcentage de chaînes lourdes de myosine de type IIX et ainsi inhiber les performances athlétiques explosives associées, telles que le sprint.

Applications pratiques

Les résultats de cette méta-analyse confirment que le VBT améliore la force, la puissance, l’endurance et la vitesse, tout en optimisant la charge de travail et en réduisant la fatigue (en gérant la perte de vitesse). D’un point de vue pratique, le VBT offre un cadre d’entraînement moderne, centré sur la régulation individuelle et la qualité du stimulus. Pour les athlètes expérimentés, il constitue une alternative plus fine et plus réactive que les méthodes traditionnelles basées sur le 1RM.

Ainsi, le VBT permet des gains de performance comparables, voire supérieurs, à l’entraînement traditionnel, tout en réduisant le volume total de travail et la fatigue accumulée. L’ajustement quotidien des charges selon la vitesse réelle améliore la précision de la charge mécanique appliquée. Là où l’entraînement basé sur un pourcentage fixe du 1RM ne tient pas compte des variations biologiques journalières, le VBT permet de s’entraîner toujours à la bonne intensité, ni trop, ni pas assez.

Il améliore la qualité d’exécution, un point souvent sous-estimé. En arrêtant une série dès que la vitesse chute au-delà d’un seuil défini, on évite les répétitions inutiles et la dégradation technique. Cela favorise la performance à long terme et diminue le risque de blessure, en particulier sur les exercices lourds comme le squat ou le développé couché.

Enfin, le VBT introduit un levier de motivation supplémentaire. En fournissant un retour instantané et objectif (via la vitesse de la barre), il transforme l’entraînement en un jeu de performance mesurable. Ce feedback immédiat stimule la concentration, l’engagement et la progression.

Référence