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Membres prosthétiques vs. biologiques : Différences physiologiques et biomécaniques lors de la course

par A. Manolova | 11 Septembre 2012

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Les Jeux Paralympiques de Londres 2012 se sont achevés le 9 septembre dernier. Cette compétition permet aux athlètes handicapés de sortir de l'ombre une fois tous les 4 ans grâce à une couverture médiatique un peu plus étendue mais toujours insuffisante... Cependant, la performance individuelle de certains athlètes handicapés, comme Oscar Pistorius, aura permis au grand public d'y porter une attention toute particulière.

Départ d'Oscar Pistorius

Figure 1. Oscar Pistorius lors d'un départ.

Si les prothèses existent depuis de nombreuses années, leur capacité à remplacer pleinement les fonctions d'un membre naturel n'a jamais été totale. Et les performances sportives des athlètes équipés de prothèses ont toujours été inférieures à celles des athlètes valides. L'arrivée du sprinteur Oscar Pistorius a toutefois remis en question de nombreux principes. Cet athlète, amputé des deux jambes sous le genou depuis son plus jeune âge, court avec deux prothèses en carbone (Flex-Foot Cheetahs, Össur) (Fig. 1).

Ses performances sportives ont été si bonnes qu'il a exprimé le souhait dès 2007 de courir parmi les athlètes valides. Mais dans le même temps, elles ont soulevé une interrogation chez les experts et les scientifiques : les prothèses en carbone qu'O. Pistorius utilise ont-elles des propriétés similaires ou supérieures aux membres biologiques ?

Cette question a provoqué le débat dans la communauté scientifique, puisqu'il existait peu d'études sur les performances chez les amputés bilatérales. L'I.A.A.F. a même demandé une étude scientifique indépendante qui a conclue qu'O. Pistorius bénéficiait d'un avantage, ce qui a entraîné l'interdiction pour O. Pistorius de participer aux compétitions valides. Décision ensuite annulée par le Tribunal Arbitral du Sport qui lui permettra de participer aux compétitions valides.

L'étude réalisée

Pour tenter d'apporter des éléments de réponse, une équipe de chercheurs américains a publié en 2009 une étude qui compare Oscar Pistorius à des athlètes valides dans des conditions différentes pour ainsi tester 3 hypothèses :

Hypothèse 1 : Dépense énergétique durant la course

Les chercheurs ont supposé qu'Oscar Pistorius présenterait une dépense énergétique plus faible du fait de sa double amputation, puisque cela lui procurerait un avantage au niveau de la masse à déplacer.

Pour tester cette hypothèse, l'athlète amputé et 4 athlètes valides devaient réaliser un test d'effort progressif et discontinu (5-7 minutes de course avec 3-5 minutes de repos) sur tapis roulant jusqu'à la fatigue. Les échanges gazeux étaient mesurés tout au long du test.

Hypothèse 2 : Endurance de sprint

Pour la seconde hypothèse, les chercheurs ont supposé que puisque les prothèses ne fatiguaient pas, Oscar Pistorius serait capable de maintenir un pourcentage plus élevé de sa vitesse maximale de sprint sur des durées d'effort plus longues.

Pour tester cela, les athlètes ont réalisé des sprints sur tapis roulant à grande vitesse sur des durées de 3s à 300s. L'objectif de ce test étant de trouver la vitesse maximale que l'athlète peut soutenir sur chaque intervalle de temps et donc de pouvoir comparer l'endurance de sprint d'Oscar Pistorius à celle d'athlètes valides.

Hypothèse 3 : Mécanique du sprint

Enfin, pour la dernière hypothèse, les chercheurs ont supposé que la mécanique du sprint serait similaire chez tous les athlètes puisque les prothèses sont élaborées pour reproduire la fonction "amortissement-ressort" des membres biologiques.

Pour cela, la comparaison s'est effectuée avec 4 athlètes sprinteurs valides dont les vitesses maximales sur tapis roulant étaient similaires à celle d'Oscar Pistorius. Les 5 athlètes ont réalisé des sprints à différentes vitesses (de 2 à 10 m·s-1) sur un tapis à haute vitesse équipée d'une plateforme de force. Pour ne prendre en compte que la vitesse maximale de sprint, le tapis roulant était d'abord réglé à la vitesse désirée puis les athlètes se lançaient littéralement dessus. Les durées des sprints s'échelonnaient de 2 à 30s.

Ce test a permis de mesurer les forces verticales et horizontales, la durée du contact du pied / prothèse au sol, la phase aérienne (i.e., entre le moment où un pied quitte le sol et où l'autre touche le sol), le temps pour replacer le membre inférieur (i.e., entre le moment où un pied quitte le sol et le moment où ce même pied touche le sol à nouveau) et la durée de la foulée (i.e., entre deux contacts consécutifs du même pied).

Résultats & Analyses

Les principaux résultats de cette étude indiquent que les variables physiologiques (i.e. , la dépense énergétique de la course et l'endurance de sprint) entre Oscar Pistorius et les athlètes valides sont similaires, mais que la mécanique de course présente des différences significatives durant le sprint.

Concernant la première hypothèse, les résultats montrent que la dépense énergétique d'Oscar Pistorius est plus faible de 4 à 7% en comparaison à celle d'athlètes élites, et plus faible de 17% en comparaison à celle d'athlètes spécialistes du 400m. Toutefois, l'athlète handicapé possède une VMA similaire à celle des athlètes valides. Il est également important de noter que des athlètes valides de niveau mondial ont des dépenses énergétiques inférieures à celle d'O. Pistorius et un athlète marathonien amputé des deux jambes lui aussi possède une dépense énergétique supérieure de 19% à celle de Pistorius. Sur la base d'un seul cas, il est donc très difficile de conclure définitivement sur le bénéfice ou non des prothèses au niveau de la dépense énergétique.

Figure 2. Paramètres mécaniques d'Oscar Pistorius et d'un athlète... (Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Concernant la seconde hypothèse, les résultats indiquent qu'il n'existe aucune différence entre Oscar Pistorius et les athlètes valides au niveau de l'endurance de sprint. Les vitesses maximales des sprints diminuent en fonction de la durée de la même manière que pour les ahtlètes valides. Cela montre que sans les phases de départ et d'accélération, lors des phases de vitesse constante, la capacité à maintenir une vitesse est la même pour Oscar Pistorius que pour des athlètes valides. Les départs plus lents d'Oscar Pistorius dus à ses prothèses permettent peut-être d'expliquer les fins de course plus rapide.

Concernant la troisième hypothèse, les résultats montrent que les différences observées sont dépendantes de la vitesse de course : à faible vitesse, les différences étaient inexistantes ; à vitesse moyenne, elles étaient modérées ; et à vitesse élevée, elles étaient importantes. Pour une vitesse maximale de 10 m·s-1, Oscar Pistorius a un temps de contact au sol 14% plus long, une phase aérienne 34% plus courte, un temps pour replacer le membre inférieur 21% plus court, une fréquence de foulée 16% plus élevée et une force verticale 23% plus faible (Fig. 2). Un athlète équipée de deux prothèses applique donc une force plus faible au sol mais plus longtemps et plus souvent qu'un athlète valide. Cette compensation permet à O. Pistorius d'atteindre une vitesse maximale similaire à celle d'un athlète valide sur tapis roulant.

Une partie des auteurs de cette étude ont avancé l'hypothèse que cette fréquence de foulée élevée était due à la légèreté des prothèses en comparaison à des membres biologiques. Néanmoins, c'est sans considérer l'adaptation neuromusculaire d'Oscar Pistorius pour compenser le manque de force qu'il est possible d'appliquer avec les prothèses.

Applications pratiques

Cette étude met en lumière les similarités et différences qui existent entre un athlète amputé des deux jambes et des athlètes valides aux niveaux physiologique et biomécanique. Le débat soulevé par la participation de Pistorius aux compétitions valides ne peut trouver de réponses concluantes sur la base de quelques études dont le nombre d'athlètes amputés bilatéralement est égal à 1. Actuellement, il n'existe aucun consensus scientifique sur le fait de savoir si la vitesse de course d'un athlète utilisant des prothèses en fibre de carbone est artificiellement élevée ou non.

Kram R, Grabowski A, McGowan CP, Brown MB, and Herr HM (2010) propose d'étudier un plus grand nombre d'athlètes amputés unilatéralement pour comparer les différences qui peuvent exister entre le membre biologique et le membre prosthétique en analysant plusieurs facteurs : la différence d'application de force, la différence du temps pour replacer le membre inférieur, et l'influence de la masse des prothèses sur la foulée.

Il est certain que les futures études qui naîtront de ce débat permettront de faire avancer les connaissances, et d'apporter des réponses plus concrètes, basées sur des données scientifiques.

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Références

  1. Weyand PG, Bundle MW, McGowan CP, Grabowski A, Brown MB, Kram R and Herr H. The fastest runner on artificial legs: different limbs, similar function? J Appl Physiol 107 : 903-911, 2009.
  2. Weyand PG and Bundle MW. Point: Artificial limbs do make artificially fast running speeds possible. J Appl Physiol 108 : 1011-1012, 2010.
  3. Kram R, Grabowski A, McGowan CP, Brown MB, and Herr HM. Counterpoint: Artificial legs do not make artificially fast running speeds possible. J Appl Physiol 108 : 1012-1014, 2010.
  4. Weyand PG and Bundle MW. Rebuttal from Weyand and Bundle J Appl Physiol 108 : 1014, 2010.
  5. Kram R, Grabowski A, McGowan CP, Brown MB, and Herr HM. Rebuttal from Kram, Grabowski, Mcgowan, Brown, Mcdermott, Beale, and Herr. J Appl Physiol 108 : 1014-1015, 2010.
  6. Buckley JG, Juniper MP, Cavagna GA, Zelik KE, Adamczyk PG and Morin J-B. Comments on Point:Counterpoint: Artificial limbs do/do not make artificially fast running speeds possible. J Appl Physiol 108 : 1016-1018, 2010.
  7. Weyand PG and Bundle MW. Last Word on Point:Counterpoint: Artificial limbs do make artificially fast running speeds possible. J Appl Physiol 108 : 1019, 2010.
  8. Kram R, Grabowski A, McGowan CP, Brown MB, McDermott WJ, Beale MT and Herr HM. Last Word on Point:Counterpoint: Artificial limbs do/do not make artificially fast running speeds possible. J Appl Physiol 108 : 1020, 2010.

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